top of page

« JE VEUX TOUT ! JE VEUX TOUT, ET ENSUITE, JE VEUX TOUT CASSER, AVEC LE MARTEAU DE MES PENSEES ! »

Le nœud se trouve serré autour d’une figure mythique que l’on se propose de détourner : Antigone. Une jeune fille sans expérience et sans histoire propre jusqu’au jour-dit, d’un milieu très favorisé où coulent l’or et l’argent.
Pourtant, un jour, Antigone prend conscience, comme une révélation que lui chuchote le monde un matin au réveil, de l’injustice du monde.

Et Antigone est venue rencontrer les petites filles capricieuses qui peuplaient autrefois mes cauchemars. Les petites filles qui avaient à leur disposition des salles de jeux remplies des trésors de l’enfance : des châteaux de playmobils, des collections de petshops, des cartes Pokémon en quantité… Ces artefacts dont je remplissais mes poches quelquefois en partant -elles ne s’en rendaient pas toujours compte, les petites filles capricieuses, et je pouvais ainsi gonfler ma collection de bidules illicitement récoltés… La collection était maigre et hétéroclite, mais suffisait à nourrir mon désir de gâteries. En mêlant ces
petites filles capricieuses et le personnage d’Antigone, on obtient un mélange étrange, teinté d’incohérence : elle s’appelle Antipartie.

Antipartie est donc notre avatar, petite figure mythique encore plongée dans l’enfance -une enfance bien cruelle ponctuée de la solitude qui découle naturellement du trop-plein d’amour matériel.
Une petite fille pourrie-gâtée qui pique des crises à sa maman qu’elle ne connaît qu’à travers un écran, image projetée d’une mère numérique qui lui parle par intermittences, n’écoutant pas vraiment ses plaintes et questionnements. La petite fille capricieuse qu’est Antipartie perd son manichéisme : elle devient un petit point lumineux au milieu des jouets et peluches qui débordent de tous les coins de sa chambre.

Antipartie est donc une petite fille capricieuse, détestable et fille unique, bien entendu. Produit supposé de la société de consommation, elle prend pourtant conscience, à travers la peine de l’isolement, de l’injustice du monde.

La peine prend sa source dans le manque maternel : la mère est une entité bidimensionnelle, qui exprime à sa fille un amour convenu où le dialogue n’a pas sa place. Antipartie est muselée et jamais n’a l’opportunité d’exprimer à la mère ses doutes. C’est une petite fille comme toute bonne princesse, emprisonnée dans une tour d’ivoire où les dragons et les dessins animés rythment le tout quotidien. Elle converse avec ces monstres imaginaires qui composent son réel -un réel tout relatif, onirique et solitaire.

Antipartie est l’avatar d’un monde globalisé mais individualiste où la relation n’a qu’une place modérée. Dans la solitude de sa chambre, elle développe une sensibilité particulière au monde, où les autres enfants n’existent pas. C’est un dialogue en elle-même, pour elle-même, qui accompagne la formation du moi futur, la chambre devenant la projection du petit esprit encore en chantier.

Le personnage n’est pas d’un seul tenant ; c’est une figure tant détestable qu’adorable, en laquelle se mêlent le doute lié à la mue qui s’opère et les petites certitudes inculquées par les figures d’autorité malgré tout présentes -la mère, l’école, etc.

Là voilà donc Antigone, revisitée dans sa complexité : vouée à être reine, fille aux double-identité et double-appartenance, elle choisit pourtant le chemin de la dissidence.

La chambre d’Antipartie est un petit cocon d’une féminité naissante, une féminité telle qu’on l’inculque aux petites filles, toute d’une mielleuse douceur et d’une fausse pudeur. Elle est comme toutes les chambres des enfants pourris-gâtés : il y a beaucoup de couleurs et de somptueuses peluches et des jouets spectaculaires. La chambre est un théâtre où les esprits évoluent avec l’enfant, dont le seul contact avec le monde « réel » réside dans cet écran où se projettent les prophéties du monde adulte. L’écran devient grand prophète de la vie intérieure, et constitue le lien avec l’univers extérieur -un univers dangereux, où les petites filles ne sont pas les bienvenues, il peut leur arriver tant de malheurs…

C’est ce que tu devras comprendre et démêler, Antipartie. Pourquoi toi, tu ne pourrais pas aller et venir dans la ville-monstre dont les murs s’élèvent comme des couteaux, pourquoi devrais-tu rester dans le confort d’une pièce multicolore et joyeuse ?

La mère est une prison, tout comme l’est la chambre confortable. L’amour inconditionnel porté à la mère constitue la clôture infranchissable de cette prison. Et pourtant, l’enfant doit bien s’en détacher, de cette mère-tout.

Antipartie est presque pure.

- Antipartie est Antigone, elle se révèle au monde et à elle-même comme entité singulière partie d’un monde a priori lisse ;
- Antipartie est partie, très loin là-haut dans les nuages ;
- Antipartie est anti-jeu, elle ne joue pas avec les autres et reste seule avec ses amis imaginaires ;
- Antipartie est antiparti, elle n’est pas politique, et refuse d’être rattachée à un mouvement particulier ;
- Antipartie est anti-patrie, elle n’entre pas dans les logiques patriarcale et masculiniste et tente désespérément de s’en extraire ;
- Antipartie est une antiparticule, à contre-courant de tout ;

La télévision, l’écran géant, non cathodique mais bien catholique, devient le lieu de la vérité générale, entre les images furieuses de la mère et celles qui tournent en boucle, révélant tour à tour des informations d’ordre mondial ou des petites morales « peppa-pig ». Antipartie questionne ces vérités générales qui sortent de la bouche invisible, les tourmente, les asticote, épaulée par ses doudous silencieux -ou pas, qui font acte de présence et comblent l’isolement.

Antipartie se situe au moment de la formulation des « icônes », fragments d’idéal projetés dans le réel par l’industrie du rêve, et elle les questionne, ces icônes, elle les retourne et essaie d’en extirper leur sens.

A l’image du Petit Prince, elle est un prétexte à la réflexion, un avatar de la question, et le personnage principal d’un conte initiatique.

Ce site a été créé dans le cadre du mémoire de master 2021 d'Anouk Duclos à l'ENSA Versailles.

bottom of page